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Sainte Catherine de Sienne évoque la réforme des pasteurs

Extrait des Dialogues de Sainte Catherine de Sienne (1347-1380), religieuse tertiaire dominicaine, qui a été déclarée docteur de l’Église en 1970, par Paul VI.

La réforme des pasteurs
CHAPITRE XVII
Comment, dans les mauvais ministres, règne le péché de luxure.

Ma fille très chère, je t’ai donné un rapide aperçu de la vie de ceux qui appartiennent à la sainte Religion, et je t’ai dit comment, misérablement, ils demeurent dans l’Ordre, sous le vêtement des brebis, tout en n’étant que des loups ravisseurs. Je reviens maintenant aux clercs et aux ministres de la sainte Église, pour déplorer avec toi leurs péchés, qui découlent tous de ceux dont je t’ai déjà parlé à propos des trois colonnes du vice. Je te les montrai, une autre fois, en me plaignant à toi de leur impureté, de leur insatiable orgueil, et de leur cupidité qui leur fait vendre la grâce de l’Esprit-Saint.

Comme je te l’ai dit, ces trois vices sont étroitement unis, et leur fondement commun, c’est l’amour-propre. Tant que ces trois colonnes demeurent debout, tant qu’elles ne sont pas jetées à terre, par cette force, qui est l’amour de la vertu, elles suffisent à retenir l’âme immobile et obstinée dans tous les vices. Tous les vices, en effet, naissent de l’amour-propre, dont le premier-né est l’orgueil. L’homme orgueilleux est privé de l’amour de la charité, et l’orgueil le conduit à l’impureté et à l’avarice. Ces vices se relient ainsi l’un à l’autre, par une chaîne diabolique.

Considère encore, ma très chère fille, par quel orgueil, par quelle impureté, ils souillent leur corps et leur âme ! Je t’en ai déjà dit quelque chose, mais je veux t’en parler à nouveau, pour te faire mieux connaître la source de ma miséricorde, et t’inspirer une compassion plus grande pour ces malheureux.

Quelques-uns d’entre eux, sont tellement devenus démons, tellement possédés par l’amour de certaines créatures, qu’ils en sont comme hors d’eux-mêmes. Ce n’est pas assez, pour eux, de n’avoir plus aucun respect pour mon Sacrement, et de n’attacher plus aucun prix à la dignité dont les a revêtus ma Bonté. Exaspérés de ne pouvoir posséder, par eux-mêmes, l’objet de leurs coupables convoitises, ils recourent aux incantations du démon. Pour satisfaire leurs pensées impures et misérables pour réaliser leurs désirs, ils emploient à la composition de maléfices, le Sacrement que je vous ai donné comme une nourriture de vie.

Les pauvres brebis confiées à leurs soins, dont ils devraient nourrir les âmes et les corps, ils les tourmentent ainsi, par ces détestables moyens, et par d’autres encore, dont je t’épargnerai le récit, pour ne pas t’affliger davantage. Tu les as vues, ces pauvres brebis, affolées et comme hors d’elles-mêmes, sentir leur volonté fléchir sous les entreprises de ces démons incarnés, et en arriver à faire ce qu’elles ne voulaient pas ; et la violence qu’elles se faisaient à elles-mêmes, causait à leurs corps de cruelles souffrances.

Ces malheurs, quel en est le principe ? Leur vie impure et misérable. Il est bien d’autres maux encore que je pourrais dire ; mais, pourquoi te les rappeler ? Tu les connais.

O fille bien-aimée, la chair qui a été élevée au-dessus de tous les chœurs des anges par l’union de votre nature humaine à ma nature divine, voilà à quelles iniquités, ils la font servir !

O homme abominable, ô homme misérable, non pas homme, mais brute, cette chair que j’ai consacrée par mon onction sainte, tu la livres aux prostituées, et pis encore ! Cette chair, qui est tienne, elle avait été guérie, comme celle de toute la race humaine, de la blessure que lui avait faite le péché d’Adam, par le corps de mon Fils unique, meurtri et percé sur l’arbre de la très sainte Croix !

O malheureux ! Il t’a rendu l’honneur, et ta lui apportes la honte ! Il a guéri tes plaies par son sang, bien plus, il t’a fait ministre du Sang, et toi, tu le meurtris de tes péchés impurs et honteux ! Le bon Pasteur avait lavé ses brebis, dans son propre sang ! Toi, tu souilles celles qui sont pures, tu fais tout ce qui est en ton pouvoir, pour les jeter dans l’ordure ! Tu devrais être un miroir de pureté, tu es un modèle de débauche ! Tous les membres de ton corps, tu les fais servir à commettre le mal, et, dans toutes tes actions, tu t’appliques à contredire à ce qu’a fait ma Vérité.

J’ai souffert qu’on lui bandât les yeux, pour te donner la lumière, et toi, tes yeux lascifs lancent des flèches empoisonnées, mortelles pour ton âme et pour le cœur de ceux qui sont l’objet de tes regards criminels !

J’ai enduré qu’il fût abreuvé de fiel et de vinaigre, et toi, comme un animal glouton, tu cherches tes délices en des mets délicats, tu te fais un dieu de ton ventre ! Ta langue ne profère que des paroles déshonnêtes et vaines. Cette langue qui devrait être employée à redresser le prochain, à annoncer ma parole, à dire l’Office, en union avec le cœur, je n’en reçois que vilenies ; ce ne sont que jurements, mensonges, parjures, quand encore tu ne vas pas jusqu’à blasphémer mon nom !

J’ai supporté qu’on lui liât les mains pour te délivrer toi et toute la race humaine, des liens du péché. Tes mains, à toi, ont reçu l’onction, elles ont été consacrées pour administrer le très saint Sacrement, et toi, vilainement, tu les fais servir, ces mains, à des usages infâmes. Toutes les œuvres de tes mains sont corrompues, toutes sont ordonnées au service du démon.

O malheureux ! A quelle dignité pourtant ne t’avais-je pas élevé, en t’appelant, toi et toute créature raisonnable, à me servir, Moi seul ! J’ai voulu que les pieds de mon Fils unique fussent percés, pour te faire de son corps une échelle ; et, que son côté fut ouvert, pour te faire voir le secret du cœur.

Je l’ai disposé, comme un asile toujours ouvert, où vous pourrez connaître et goûter l’Amour ineffable que je vous ai, en trouvant et en contemplant ma Nature divine unie à votre nature humaine.

Il t’apprend ce cœur, que le Sang dont tu es le ministre, répandu comme un bain, doit purifier vos iniquités, et toi, tu as fait de ton cœur un temple du démon ! Ton affection, qui est signifiée par les pieds, n’enferme et ne peut m’offrir rien d’autre, que honte et bassesse ; elle ne conduit ton âme, que dans les repaires du démon.

Ainsi, tu emploies ton corps tout entier à meurtrir le corps de mon fils ! Sans cesse, tes actes sont en opposition avec les siens ; sans cesse, tu fais le contraire de ce que toi et toutes les créatures, êtes obligés de faire. Tous les organes de ton corps sont devenus des instruments de péché, parce que les trois puissances de ton âme ont été assemblées au nom du démon, alors que c’est en mon nom que tu les devais réunir.

Ta mémoire devait être remplie des bienfaits que tu as reçus de moi, et elle est toute pleine d’images impures et de mille autres indignités. L’œil de ton intelligence, tu le devrais fixer dans la lumière de la Foi sur le Christ crucifié, mon Fils unique, dont tu es devenu le ministre ; et, par une misérable vanité, il n’a d’attention que pour les plaisirs, les honneurs, les richesses du monde.

Ta volonté devait s’attacher à Moi, uniquement, m’aimer pour moi-même ; et, bassement, tu as placé ton amour dans les créatures, dans ton propre corps. Il n’est pas jusqu’à tes animaux, que tu n’aimes plus que moi ! La preuve, c’est ta colère contre moi, quand je t’enlève quelque cher objet de tes affections ; c’est ton irritation contre le prochain, quand tu crois en avoir reçu quelque dommage matériel. Tu le hais, alors, tu l’outrages, et tu te sépares de ma charité et de la sienne.

O infortuné ! A toi a été confié le service de ce Feu sacré qu’est ma Charité divine, et tu l’éteins en toi, en lui préférant ton propre plaisir, tes affections déréglées ! Tu ne peux supporter, pour elle, un léger préjudice que t’aura causé le prochain !

O ma fille très chère, voilà l’une de ces trois fatales colonnes du mal, dont je t’ai parlé.

CHAPITRE XX
De beaucoup d’autres péchés qui se commettent par orgueil et par amour-propre.

Tout ce que je t’ai dit, est pour te donner plus de sujet de pleurer amèrement sur l’aveuglement de ces prêtres, en te découvrant l’état de damnation dans lequel ils se trouvent. C’est aussi, pour te faire mieux connaître ma miséricorde, pour accroître encore ta confiance en cette miséricorde, pour t’amener à l’invoquer avec pleine assurance et à présenter devant moi, ces malheureux ministres de la sainte Église et l’univers entier, en me priant de leur faire miséricorde. Plus tu feras monter vers moi de vœux attristés et d’ardentes prières, plus tu me témoigneras l’amour que tu as pour moi.

Pour moi, personnellement tu ne peux rien, non plus que mes autres serviteurs : vous ne pouvez me servir que dans la personne de ces malheureux, et c’est à eux par conséquent que vous devez faire du bien. Je me laisserai vaincre alors par les désirs, par les larmes, par les prières de mes serviteurs, et je ferai miséricorde à mon Épouse, en la réformant par de bons et saints pasteurs.

La présence de bons pasteurs amènera naturellement la conversion des sujets, car ce sont les mauvais pasteurs, qui sont cause de presque tous les péchés que commettent les inférieurs.

S’ils se corrigeaient en effet, si l’on voyait briller en eux la perle de la justice, avec une bonne et sainte vie, le peuple ne serait pas ce qu’il est. Sais-tu quelle est la conséquence de tous ces désordres ? C’est que l’un suit les traces de l’autre. Pourquoi les sujets n’obéissent-ils pas ? Parce que le prélat, quand il était sujet, n’obéissait pas lui-même à son prélat. Il reçoit à son tour ce qu’il a donné. Il fut un mauvais inférieur, il fait un mauvais pasteur.

La cause de tous ces péchés et de beaucoup d’autres, c’est l’orgueil, qui vient de l’amour-propre.

Ignorant et superbe il était, quand il était dans le rang ; beaucoup plus ignorant et superbe il est, maintenant qu’il est prélat.

Si grande est son ignorance, si profond son aveuglement, qu’il conférera le sacerdoce à un homme sans culture, sachant à peine lire, ignorant tout des fonctions sacerdotales, d’une telle incapacité que souvent il ne pourra même pas consacrer parce qu’il ne connaît pas bien les paroles sacramentelles. Ce prêtre, ordonné dans ces conditions, sera donc exposé à tomber par ignorance en ce péché que d’autres commettent par malice, en faisant semblant de consacrer tout en ne consacrant pas.

Les pasteurs sont tenus, pourtant, de ne choisir que des hommes expérimentés, d’une vertu éprouvée, possédant la science, et l’intelligence des paroles et des rites du saint ministère.

Et voilà que par un renversement des choses, ceux-ci ne regardent ni à la science, ni à l’âge : ils ne tiennent compte que de leur propre affection : aujourd’hui, paraît-il, ce ne sont pas des hommes mûrs qu’ils consacrent, ce sont des enfants qu’ils choisissent. Qu’importe qu’ils soient de bonne et sainte vie, qu’ils soient instruits de la nature de cette dignité qui leur sera conférée, et du grand mystère qu’ils auront à accomplir ? On ne pense qu’à multiplier la famille sacerdotale, non à multiplier la vertu.

Aveugles, rassembleurs d’aveugles, ils ne voient pas que moi je leur demanderai compte de ces actes et de beaucoup d’autres, à leur dernier jour. Après avoir fait des prêtres si ignorants de tout, ils ne leur en confient pas moins le soin de conduire les âmes, alors qu’ils voient bien pourtant qu’ils ne sont même pas capables de se conduire eux-mêmes. Comment donc ceux qui ne peuvent discerner dans leur propre vie ce qui est mal, pourront-ils le découvrir dans les autres pour le corriger. Ils ne le peuvent pas et ils ne le voudraient pas faire, pour ne point se condamner eux-mêmes. Et les brebis, qui n’ont pas de pasteur, qui veille sur elles et les sache conduire, s’égareront facilement ; et, souvent, elles seront dévorées et déchirées par les loups.

Le mauvais pasteur ne se soucie guère d’avoir un bon chien qui aboie au loup : ils en ont un qui leur ressemble. Ces ministres et ces pasteurs, sans zèle aucun pour leurs âmes, n’ont point à leur service le chien de la conscience ; ils n’ont pas à la main le bâton de la justice. Aussi ne corrigent-ils point avec la verge ; le chien de la conscience reste muet ! Il n’aboie plus, pour les reprendre eux-mêmes dans le secret de leur âme, ou rappeler les brebis égarées hors du sentier de la vérité, dés qu’elles n’observent plus mes commandements. Ils ne s’emploient plus à les ramener dans le chemin de la vérité et de la justice, hors des atteintes du loup infernal. Si ce chien faisait entendre son aboiement, si la verge de la sainte justice s’abattait sur leurs égarements, les brebis rebrousseraient chemin pour revenir au bercail. Mais le berger est sans bâton et sans chien ; et ses brebis périssent, sans qu’il en ait cure. Le chien de la conscience ne peut plus donner de la voix, tant il est débile, parce qu’il a été privé de sa nourriture. Car il faut le nourrir le chien ; et l’aliment qu’il lui faut, c’est la chair de l’Agneau mon Fils. Quand la mémoire, qui est comme le réservoir de l’âme, est pleine de ce sang, la conscience s’en nourrit. Le souvenir de ce sang enflamme l’âme, de la haine du vice et de l’amour de la vertu.

Cette haine et cet amour purifient l’âme de la souillure du péché mortel et donnent vigueur à la conscience préposée a sa garde. Dès que quelque ennemi de l’âme, quelque péché mortel menace d’en franchir le seuil, avant même d’avoir subi son attrait, à la première pensée du mal, aussitôt la conscience est en éveil, son avertissement est comme l’aboiement du chien de garde, qui empêche de commettre l’injustice. Car celui qui a la conscience, possède la justice.

C’est pourquoi ces êtres d’iniquité, indignes d’être appelés mes ministres, et même des créatures raisonnables, puisque leurs vices ont fait d’eux de simples animaux, n’ont plus à leur service ce chien, peut-on dire : car il est tellement débile qu’il n’est plus d’aucun secours, et ils ne possèdent pas, non plus, le bâton de la sainte justice.

Leurs vices les ont rendus tellement craintifs que leur ombre même leur fait peur ; crainte, qui n’est pas sainte, en vérité, mais toute servile. Ils devraient être prêts à supporter la mort pour arracher les âmes des mains du démon, et c’est eux qui les lui livrent, en ne leur procurant pas l’enseignement d’une bonne et sainte vie et en ne voulant pas même s’exposer pour leur salut à la moindre parole injurieuse.

Maintes fois, ce ministre se trouvera en présence d’une âme à lui confiée, et qui traîne la chaîne de lourdes fautes.

Cette âme a de graves obligations de justice vis-à-vis d’autrui, et cependant, par un amour désordonné pour les siens, pour ne pas dépouiller sa famille, elle n’est pas disposée à s’acquitter de cette dette. Le fait est connu de beaucoup de gens ; ce malheureux prêtre ne peut pas l’ignorer ; on est même venu lui exposer cette situation, afin que, en sa qualité de médecin - ce qu’il doit être,- il puisse donner à cette âme, les soins que réclame son état. Ce pauvre ministre se rendra auprès d’elle, avec l’intention de faire ce qui doit être fait, mais le premier mot malsonnant, le moindre regard menaçant suffisent a lui ôter tout son courage il n’insistera plus. Parfois, on lui fera un cadeau.

Bien pris désormais entre le présent accepté et la crainte servile, il laissera cette âme comme il l’avait trouvée, aux mains du démon, et il lui donnera le Sacrement, le corps du Christ mon Fils unique. Il voit pourtant, il sait que cette âme est plongée dans les ténèbres du péché mortel ; mais il ne veut pas déplaire aux gens du monde, il est dominé par une crainte désordonnée, il est séduit par le présent qu’on lui a fait ; il administre les sacrements à ce pécheur public qui va mourir, et il l’ensevelit en grande pompe avec tous tes honneurs ecclésiastiques, alors qu’il aurait dû le jeter hors de l’Église comme un animal, comme un membre retranché du corps.

Quel est donc le principe d’une semblable conduite ? L’amour-propre et l’exaltation de l’orgueil S’il m’avait aimé, Moi, par-dessus toute chose s’il avait aimé l’âme de ce pauvre malheureux il fût demeuré humble et n’eût plus eu peur, il aurait cherché à sauver cette âme.

Tu vois combien de maux ont leur fondement, dans ces trois vices, que je t’ai donnés comme les trois colonnes où s’appuient tous les autres péchés : l’orgueil, l’avarice, l’impureté de l’esprit et du corps. Tes oreilles ne pourraient entendre toutes les iniquités que commettent ces membres du démon.

N’as-tu pas vu toi-même, où les entraînent parfois leur orgueil, leur luxure et leur avarice ? Il se rencontre quelques âmes trop simples, mais de bonne foi, dont l’esprit est troublé par la crainte d’être possédées du démon.

Elles vont trouver ce malheureux prêtre, dans l’espoir qu’il les pourra délivrer et qu’un démon chassera l’autre. Son avidité commencera par recevoir un présent, et ensuite, donnant libre cours à sa lascivité brutale, il dira à cette pauvre âme : « Le tourment dont vous souffrez ne peut être apaisé qu’à une condition ». - Et il l’amènera ainsi à pécher avec lui.

O démon, plus que démon ! car tu es devenu pire que démon ! Beaucoup de démons, en effet, n’ont que dégoût pour ce péché, tandis que toi tu t’y vautres, comme le pourceau dans la boue.

O animal immonde, est-ce donc là ce que je suis en droit d’attendre de toi ! C’est pour chasser des âmes le démon, par la vertu du Sang, que je t’ai fait le ministre du Sang, et toi tu introduis le démon dans les âmes ! Ne vois-tu pas que déjà la hache de la divine Justice est à la racine de ton arbre ? Et tes iniquités, je t’en préviens, seront punies avec usure, en temps et lieu, si tu ne les châties toi-même, par la pénitence et par la contrition du cœur. Je n’aurai pas d’égard pour toi, parce que tu es prêtre !

Tu seras punis sévèrement, pour tes crimes, et pour ceux que tu auras fait commettre. Tu seras châtié, plus cruellement que les autres. Tu essayeras alors de chasser le démon, par le démon de la concupiscence !

Et celui-là, non moins misérable, qui se rend auprès d’une pauvre âme pour l’absoudre et la délivrer des liens du péché mortel, et qui par ses suggestions l’amène à commettre le mal avec lui ! Il la laisse chargée de plus lourdes chaînes et plus honteuses que celles dont il devait la libérer.

Si tu t’en souviens bien, tu as vu de tes propres yeux, la pauvre créature ainsi trompée. N’est-ce pas là un pasteur qui n’a plus avec lui le chien de la conscience ? Et non seulement il a étouffé la sienne, il tente encore de faire taire celle des autres.

Je leur ai confié la charge de chanter et de psalmodier, la nuit, l’office divin. Eux, au contraire, recourent aux maléfices et aux incantations démoniaques pour que le démon leur procure, la nuit, la visite de ces créatures qu’ils aiment si bassement. Et ils croiront qu’elles sont venues ; mais ils sont le jouet d’une illusion.

O malheureux, je t’avais choisi pourtant pour passer dans la prière les veilles de la nuit, et te disposer ainsi, le matin venu, à célébrer le sacrifice ! Tu devais répandre sur le peuple l’odeur de la vertu et non l’infection du vice ! Je t’ai élevé à l’état des anges, pour te permettre, dès cette vie, de converser avec les anges, par la sainte méditation, afin qu’au dernier jour tu puisses jouir de moi-même dans leur compagnie ; et toi, tu mets tes délices à être un démon, à converser avec les démons, et c’est ainsi que tu te prépares à l’instant de la mort ! La corne de ton orgueil a crevé, dans l’œil de ton intelligence, la pupille de la très sainte foi tu as perdu la lumière, et tu ne vois plus en quelle misère tu es tombé !

Tu ne crois donc pas que toute faute est punie, et toute bonne action récompensée. Si tu le croyais vraiment, tu agirais autrement ; tu ne rechercherais pas, tu ne voudrais pas un pareil commerce ; son nom même te serait odieux, et tu ne pourrais l’entendre prononcer sans épouvante.

Mais puisque c’est sa volonté que tu suis, puisque c’est dans son œuvre que tu mets ton bonheur, ô deux fois aveugle que tu es, demande donc au démon, je t’en prie, quelle récompense il te réserve pour le service que tu lui rends. Il te répondra qu’il donnera ce qu’il possède lui-même. Il ne peut rien t’offrir que les cruels tourments, que le feu dans lequel il brûle éternellement et où, des hauteurs des cieux, l’a précipité son orgueil.

Toi, ange de la terre, ta superbe t’a fait choir aussi de la sublimité du sacerdoce et des sommets de la vertu, dans un abîme de misères, et si tu ne renonces pas à tes crimes, tu rouleras jusqu’aux profondeurs de l’enfer.

Tu as fait de toi-même et du monde ton seigneur et ton dieu. Tu as joui du monde, en cette vie : ta propre sensualité s’est gorgée de ses plaisirs, ô prêtre, que j’avais revêtu du sacerdoce, pour mépriser le monde et ta propre sensualité ! Eh bien ! maintenant, dis donc au monde, dis donc à ta sensualité, de plaider pour toi devant moi, le Juge souverain ! Ils te répondront qu’ils ne peuvent t’être d’aucun secours ; ils se riront de toi ; ils diront que tu as bien mérité ton sort, qu’il est juste que tu demeures confondu et réprouvé, devant Moi et devant le monde.

Tu ne vois pas ton malheur, parce que, je te l’ai dit, la corne de ton orgueil t’a aveuglé. Mais tu le verras, au moment de la mort, alors que tu ne trouveras en toi-même aucune vertu pour éviter la damnation ; il n’en est point d’autre, en effet, que dans ma miséricorde, et dans l’espérance de ce sang précieux, dont je t’ai fait le ministre. Tu ne seras pas privé de cette assistance, pas plus que les autres, pourvu que tu veuilles espérer dans le Sang et dans ma Miséricorde. Mais nul ne doit être assez fou ni assez aveugle, pour attendre ce dernier moment.

Songe, qu’à cette heure dernière, le démon, le monde, la sensualité propre, accusent l’homme qui a vécu dans l’iniquité. Ils ne le trompent plus ils n’essayent plus de lui faire trouver la douceur là où il n’y a que de l’amertume, le bien où il n’y a que mal, la lumière où il n’y a que ténèbres, comme ils avaient accoutumé de faire pendant sa vie ; ils lui découvrent la vérité telle qu’elle est. Le chien de la conscience, jusque-là muet, commence à aboyer avec tant de violence, qu’il réduit l’âme presque au désespoir.

C’est là l’extrême péril qu’il lui faut éviter, en recevant avec confiance le Sang, malgré tous les crimes qu’elle a commis ; car ma Miséricorde, qu’il reçoit par le Sang, est incomparablement plus grande que tous les péchés qui se commettent dans le monde.

Mais, je le répète, que personne ne diffère jusqu’à ce dernier instant ; car c’est une chose terrible pour l’homme, que de se trouver désarmé sur le champ de bataille, au milieu de tant d’ennemis.

CHAPITRE XXI
De beaucoup d’autres péchés que commettent les mauvais pasteurs.

Voilà ce qu’oublient, ma fille très chère, les malheureux dont je t’ai parlé. S’ils y pensaient, ils ne se laisseraient pas aller à tant de crimes, et les autres non plus. Ils marcheraient sur les traces de ceux qui vivaient dans la vertu, et eussent préféré mourir plutôt que de m’offenser, plutôt que de défigurer leur âme, et de porter atteinte à la dignité dont je les avais investis. Ils augmentaient au contraire, ces justes, la dignité et la beauté de leur âme.

Non que, en vérité. la dignité du sacerdoce puisse être accrue ou diminuée, en elle-même, par les mérites ou les fautes personnels des prêtres ; mais les vertus n’en sont pas moins une parure, dont ils peuvent orner leur âme et ajouter ainsi à la beauté qu’elle a reçue dès son origine, quand je la créai à mon image et ressemblance. Ceux-là connaissaient la vérité de ma Bonté, la beauté de leur âme et leur dignité, parce que l’orgueil et l’amour-propre ne les avaient point aveuglés, et privés de ce qui est la lumière de la raison. Dans cette lumière ils m’aimaient, Moi, et ils aimaient le salut des âmes. Mais, les pauvres malheureux, qui ont perdu cette lumière, vont de crime en crime, tranquillement, sans un remords, jusqu’au bord de la fosse. Du temple de leur âme, de la sainte Église qui est un jardin, ils ont fait un repaire d’animaux.

O très chère fille, quelles abominations il me faut souffrir ! Leurs maisons devraient être l’asile de mes serviteurs et des pauvres. Ils devraient n’y avoir d’épouse que leur bréviaire et d’enfants que les livres de la sainte Écriture : c’est dans cette compagnie qu’ils devraient se complaire, pour procurer au peuple la doctrine et lui donner l’exemple d’une sainte vie ! Et leurs demeures sont devenues le réceptacle du désordre, elles sont ouvertes aux personnes d’iniquité ! Vois-le ce prêtre ! Ce n’est pas le bréviaire qui est son épouse, ou il ne le traite que comme une épouse adultère. Une créature du démon a pris sa place et vit avec lui dans le crime. Ses livres, vois-les, c’est la troupe de ses fils ; au milieu de ces enfants, fruits de la faute, fruits de son péché, il se sent heureux, sans penser à en rougir.

Les solennités pascales et autres jours de fêtes, où il est tenu de rendre honneur et gloire à mon nom, par l’office divin, et de faire monter vers moi l’encens d’humbles et ferventes prières, il les passe au jeu, à se divertir avec les créatures du démon, à se distraire avec les séculiers, à la chasse ou à la pipée, comme un laïc et un homme de cour.

O malheureux homme i Où en es-tu arrivé ! Ce sont les âmes que tu devais poursuivre et prendre pour l’honneur et la gloire de mon nom ! C’est dans les jardins de la sainte Église que tu devais demeurer, et tu cours les bois ! Tu es devenu bête toi-même, tu entretiens dans ton âme une foule d’animaux qui sont tes nombreux péchés mortels, voilà pourquoi tu t’es fais oiseleur et chasseur de bêtes ! Le jardin de ton âme est passé à l’état Sauvage, il est devenu un fourré d’épines. C’est pour cela que tu te plais à courir, par les lieux déserts, à la poursuite des bêtes des forêts.

Rougis donc, ô homme ! Considère tes crimes de quelque côté que tu regardes, tu as de quoi rougir ! Mais non, tu es inaccessible à la honte, parce que tu as perdu la véritable et sainte crainte de Moi !

Comme une courtisane sans pudeur, tu te vantes d’occuper une grande situation dans le monde, d’avoir une belle famille, une troupe nombreuse d’enfants ! Si tu n’en as pas, tu cherches à en avoir, pour laisser des héritiers de ta fortune. Mais tu n’es qu’un bandit, tu n’es qu’un voleur ! Tu sais bien que tu ne peux leur laisser ces biens et que tes héritiers ce sont les pauvres et la sainte Église.

O démon incarné ! esprit sans lumière, tu cherches ce que tu ne dois pas chercher ; tu te flattes, tu es fier de ce qui devrait te couvrir de confusion et te faire rougir devant moi, qui vois le fond de ton cœur. Les hommes eux-mêmes te méprisent, mais les cornes de ton orgueil t’empêchent de voir ta honte !


O très chère fille, je l’avais placé, ce prêtre, sur le pont de la doctrine et de ma Vérité, pour qu’il vous administrât à vous, les voyageurs, les sacrements de la sainte Église. Et le voilà qui est descendu en dessous du pont, il est entré dans le torrent des plaisirs et des misères du monde. C’est là qu’il exerce son ministère, sans s’apercevoir que le flot de la mort va le prendre et l’emporter avec les démons, ses maîtres, qu’il a si bien servis. Il se laisse ainsi aller, sans résistance, au fil de l’eau, dans le courant du fleuve. S’il ne s’arrête, c’est à l’éternelle damnation qu’il va, avec tant de charges et d’accusations contre lui, que ta langue ne le pourrait dire. Plus lourde est sa responsabilité que celle de tout autre. Aussi, la même faute est-elle punie plus sévèrement en lui que dans les hommes du monde. Plus impitoyable aussi est l’accusation que ses ennemis font peser sur lui, quand, au moment de la mort, ils se dressent pour lui reprocher sa vie, comme je te l’ai dit.