dimanche

Du combat spirituel contre les sept péchés capitaux par Saint Bonaventure

Comment lutter victorieusement contre les Sept Péchés Capitaux ?

Du Combat Spirituel contre les Sept Péchés Capitaux par Saint Bonaventure.


CHAPITRE PREMIER. Du combat contre la gourmandise; de la nature de ce vice et des remèdes à y apporter.

Allons ! soldats du Christ, qui êtes prêts à commencer le combat spirituel, revêtez-vous de l’armure de Dieu ; prenez en main le glaive et le bouclier ; le glaive de la force et du courage, le bouclier de la patience, afin d’être inébranlables au milieu des assauts et des peines. C’est contre la gourmandise que nous allons d’abord diriger nos efforts ; car, tant qu’elle domine en nous, nous sommes incapables de bien reconnaître les coups plus obscurs que nous portent les autres vices.

« Beaucoup, nous dit saint Grégoire, entreprennent des choses grandes et difficiles; mais, parce qu’ils n’ont pas vaincu la gourmandise, ils perdent honteusement ce qu’ils avaient acquis au prix d’efforts glorieux. » En effet, celui qui ne peut renverser ses ennemis dans ses propres domaines, c’est-à-dire dans son corps même, comment les vaincra-t-il dans une terre éloignée?

La gourmandise est donc un amour désordonné et immodéré de la nourriture. Or, tout ce qui tend à occuper intérieurement et d’une manière utile les facultés de l’âme ; tout ce qui contribue à augmenter ses désirs intérieurs ; tout cela, dis-je, offre un remède contre la gourmandise, et, qui mieux est, contre tous les vices de la chair. C’est ce qu’enseigne saint Jérôme en écrivant à Rustique : « Aimez, lui dit-il , la science des Écritures, et vous serez sans amour pour les vices de la chair. »

C’est encore ce qui fait dire à saint Jean Climaque, homme très-versé en toutes ces matières, que le manque de souffrances et l’oubli de la mort sont une occasion de gourmandise (1). Et pour tout dire en un mot, l’absence ou le vide des bons désirs, des saintes méditations, est la source ou l’accroissement principal des péchés de la chair. Le remède à y opposer est donc une crainte profonde de la mort, du jugement et de l’enfer ; le désir toujours persévérant du royaume céleste, de la perfection, ou tout autre bon sentiment intérieur, comme la dévotion et surtout la componction, les larmes, la prière; car tout cela contribue à remplir le cœur de l’homme, et, selon saint Jérôme, un désir chasse un autre désir, une affection bannit une autre affection (2).

C’est la sobriété qui devrait défendre contre la gourmandise les remparts où nous tenons renfermé tout ce qu’il y a en nous de concupiscence ; car c’est une vertu qui ne permet de prendre qu’avec une juste modération les aliments corporels. C’est à elle qu’il appartient avant tout d’être notre gardienne contre ce vice. Veillez donc pour ne point outre-passer les limites en ce qui concerne la qualité de la nourriture.

Il est plus difficile de discerner ce qui convient relativement à la quantité, et cependant il peut y avoir pour tous une règle qui aide à nous contenir : c’est de ne jamais se rassasier, ni se charger d’aliments autant que la capacité de chacun pourrait le permettre.

Le premier degré de la sobriété c’est de souffrir avec patience et sans nous plaindre lorsque nous ne pouvons avoir selon notre désir, soit à boire, soit à manger.

Le second degré c’est de consentir par amour pour la sobriété et la pauvreté, et aussi par désir du bon exemple, à nous passer de ce que nous pourrions nous procurer.

Le troisième degré c’est de se priver de bon cœur de tout ce que nous possédons de propre à flatter notre goût.
1 Clim., grad., 14. — 2 Hier., Epist. ad Rust.


CHAPITRE II. Du combat contre la luxure; de la nature de ce vice et des remèdes à y apporter.

Si, au lieu de vaincre la gourmandise, vous vous laissez dominer par elle, elle appellera aussitôt à sa suite sa sœur la luxure, dont vous pourrez reconnaître la présence aux indices que sa nature elle-même vous rendra sensibles. Elle allumera aussitôt en la partie sensible de votre âme, l’amour, l’inclination, la passion pour les personnes d’un sexe différent ; ou bien elle excitera des mouvements en votre chair, et vous pouvez le comprendre par les impressions de concupiscence qui se font sentir en votre corps.

Quelquefois son action s’exerce principalement sur l’âme par le désir d’actes illicites, ou l’affection pour une personne qu’on aime d’un amour coupable. Vous pouvez vous faire une idée de ce genre d’affection par les sentiments que fait naître en vous l’image empreinte en votre imagination de personnes d’un autre sexe.

Or, contre un tel vice, le combat est long et pénible, ou plutôt nous sommes impuissants contre lui, réduits à nos seules forces. C’est pourquoi le remède radical, selon saint Augustin, en plusieurs endroits où il traite de la continence au livre de ses Confessions, et selon les autres saints, le remède capital c’est d’humilier son cœur, de reconnaître sa propre fragilité, et de recourir à la miséricorde divine.

Il y a aussi quelques autres remèdes qui contribuent à éloigner de l’âme la luxure ; ce sont : la contrition du cœur, la prière fréquente, la méditation continuelle de la mort, de l’enfer, et d’autres sujets semblables. Et la raison, vous la comprenez par ce que nous avons dit de la gourmandise. De même, l’exactitude à réprimer toute affection perverse, toute pensée mauvaise; ce que l’on fait en y substituant des pensées pieuses et de saints désirs.

De même encore, il faut ranger parmi les remèdes contre la luxure, l’abstinence de la viande, le jeûne, mais surtout un jeûne égal et modéré, et le travail des mains qui empêche les évagations multipliées de notre cœur.

Il y a aussi quelques moyens directs à employer contre ce vice, soit qu’on le considère comme résidant dans notre corps ou comme résidant dans notre âme. Ces moyens sont : la garde empressée de nos sens, car ils sont les ouvertures qui lui dorment entrée en nous; la fuite de toute familiarité et société avec les personnes d’un autre sexe, et la fidélité à ne point demeurer seul, à ne point converser seul avec elles seules, surtout dans un lieu à l’écart, et à ne point fréquenter leurs maisons, selon les enseignements de saint Jérôme (1).

Le premier degré de la chasteté consiste à s’abstenir courageusement de tout acte charnel avec la ferme résolution d’agir toujours ainsi, et de refuser en tout temps son consentement à tout mouvement impur que l’on pourrait éprouver.

Le second degré consiste à employer les remèdes que nous venons d’indiquer et autres semblables, afin de soumettre la chair à l’esprit, et de rendre les tentations plus rares ; et il faut savoir que cette sorte de tentation se réprime plus facilement par une volonté bien arrêtée que par des efforts violents.

Le troisième degré consiste à avoir soumis de telle sorte la concupiscence de la chair qu’on n’en ressente plus les mouvements que très-faiblement et à de rares intervalles ; et ensuite d’être dans une telle disposition habituelle qu’on ne puisse entendre parler ou parler soi-même de ces choses qu’avec dégoût et horreur.
1 Epist. ad nepotian.

CHAPITRE III. De l’avarice, et des remèdes qui y sont opposés.

Après la luxure vient l’amour de l’argent ou l’avarice. Cette passion s’attaque à ceux qui sont tièdes dans le service de Dieu ; mais rarement elle s’adresse à ceux qui combattent avec courage , surtout s’ils vivent sous l’autorité ou la tutelle d’un autre. Le remède à opposer à un tel vice, c’est d’exercer la profession que vous connaissez, afin de gagner par le travail de vos mains de quoi vivre et de quoi vous vêtir, et de borner là tous vos désirs. Mettez votre confiance en Dieu : il n’abandonne point ceux qui espèrent en lui.

Si vous voulez que je vous indique le remède souverain pour vaincre parfaitement l’avarice, le voici : abandonnez tout ce que vous possédez, et confiez-vous à la garde d’un supérieur, en vivant avec les autres en communauté. Mais en tout cas il faut contre un tel vice s’opposer aux commencements, ne pas même souffrir en son cœur le désir de quoi que ce soit. Car, s’il est facile de le vaincre lorsqu’on le prend ainsi à sa naissance. une fois que nous lui avons donné entrée en nous, il devient le plus difficile de tous les vices à expulser.

Le premier degré, si l’on veut taire des progrès contre l’avarice, c’est le mépris du monde, c’est de ne posséder rien injustement, de ne point abuser de ses richesses pour commettre le péché, et de faire l’aumône.

Le second degré c’est de ne rien avoir de superflu, mais de se contenter du nécessaire. Beaucoup, il est vrai, étendent fort loin cette nécessité; mais il n’est pas sûr en bien des choses de nous en rapporter à nous-mêmes; il faut plutôt prendre conseil d’un autre.

Le troisième degré c’est de ne rien posséder en ce Inonde, mais d’user seulement de ce qui nous est nécessaire, et de souffrir fréquemment la pauvreté dans le boire, le manger et le vêtement.


CHAPITRE IV. De la colère et des remèdes qui lui sont opposés.

Les trois vices dont nous venons de parler s’adressent en nous à la concupiscence, et le quatrième, qui est la colère, à l’irascibilité. C’est une bête méchante qui se déchire elle-même et scandalise les autres; c’est un poison mortel qui tue l’âme, et en éloigne le Saint-Esprit. Lorsque ce vice est arrivé a prendre place dans la partie irascible de notre âme, il y introduit aussitôt toute sa famille. Ce sont les querelles, les airs dédaigneux, les injures, les cris, les emportements, les blasphèmes.

Les remèdes contre la colère sont d’abord de mettre un frein à sa langue en gardant le silence, et ensuite d’étouffer en son cœur la flamme qui y est allumée. Remarquez que, selon saint Ambroise, dans son livre des offices (1), le vrai soldat de Jésus-Christ doit arriver par la crainte et la méditation de la mort, et surtout par une pieuse componction (qui est, dit saint Jean Climaque, à la colère et à l’indignation ce que l’eau est au feu (2)), à réprimer en soi les mouvements de la colère et à s’adoucir de telle sorte que la tranquillité de l’âme lui devienne par l’habitude, l’amour et le ferme propos, une seconde nature.

C’est encore un puissant moyen contre la colère, toutes les fois qu’on s’y est laissé aller, de se reprendre sévèrement quand l’émotion est apaisée, de s’adresser des reproches et de se reconnaître humblement coupable du fond de son cœur en demandant pardon à ceux qu’on a offensés.

Les degrés par lesquels on s’élève contre la colère sont connus par ce que nous venons de dire.

Le premier c’est de lui résister en retenant sa langue, en commandant aux mouvements de son corps, pour que rien ne paraisse au dehors.

Le second c’est d’arriver par la pratique à ne point se troubler de ce qui petit nous blesser, et à agir comme si l’on était dans un lieu fort où l’on n’a à s’inquiéter en rien de ce qui nous est contraire.

Le troisième c’est de se réjouir et de se glorifier dans les tribulations lorsqu’elles sont présentes, et de les désirer lorsque nous ne les avons pas.
1 Lib. 2. c. 21. — 2 Grad., 8.


CHAPITRE V. De la nature de l’envie, de son origine, et des remèdes à y opposer.

Le cinquième combat est dirigé contre l’envie, que saint Grégoire range au nombre des péchés capitaux parce qu’elle donne naissance par elle-même à d’autres péchés (1). Si Cassien et saint Isidore ne la mettent pas en ce rang, c’est sans doute parce qu’elle-même tire son origine d’un péché de cette sorte.

Or, pour bien en reconnaître en vous la nature par son effet, vous devez savoir que l’envie est une douleur du bien du prochain, et ainsi l’objet de ce vice est le bien de nos frères en tant qu’il est pour nous un mal.

Or, cela peut arriver de deux ou trois manières. D’abord en tant que nous sommes exposés par ce bien à quelque malheur ; ainsi nous voyons avec peine que notre ennemi ou un autre qui ne mous plaît pas, devienne notre supérieur, parce que nous craignons qu’il ne nous afflige ; et en cela il n’y a point de péché. Quelquefois nous nous attristons lorsque nous considérons le bien du prochain, non que nous lui portions envie, mais parce que nous déplorons d’être privés d’un bien semblable ; et cela peut être un zèle louable, car c’est avec une telle envie que nous devrions tendre à l’humilité, à la charité et à l’obéissance.

Enfin il arrive aussi que nous soyons jaloux du bien du prochain en tant qu’il est une diminution du nôtre et surtout de notre gloire. Aussi est-ce principalement dans les choses qui ont pour objet la gloire que se trouve l’envie ; et les hommes vains, glorieux et pusillanimes sont généralement envieux, car ils craignent que leur gloire ne vienne à s’amoindrir, ils redoutent aisément qu’on ne l’emporte sur eux.

Cette envie, en quelque lieu qu’elle s’établisse, traîne à sa suite ses filles, qui sont la haine, les murmures, la médisance, la joie du malheur des autres, la peine de leur bonheur.

Or, l’amour du prochain chasse l’envie, et c’est pourquoi nous allons en parler un peu. D’abord, nous dirons par quels moyens nous pouvons conserver entre nous cet amour mutuel ; et ensuite, comment chacun doit se conduire pour être aimé des autres et les aimer soi-même. De la sorte, on aura contre l’envie des remèdes suffisants.

Vous devez savoir que la charité parfaite, véritable et permanente ne se conserve inviolablement qu’entre ceux qui ont un même but, une même volonté, et qui sont en quelque sorte purs de tout vice, selon qu’il est dit dans la seizième conférence de Cassiers. Ainsi la charité suprême se trouvera dans le ciel, et la charité véritable se serait rencontrée dans le paradis terrestre, si l’homme n’eût point péché. Cependant, il y a quelque moyen pour acquérir et conserver entre nous la charité alors même qu’elle ne serait point parfaite.

Le premier, qui est aussi un remède souverain contre l’envie, consiste à mépriser du fond de son cœur et à fouler aux pieds tout ce qui , dans le monde, peul donner naissance aux contestations , aux disputes, à la jalousie , comme les richesses, les honneurs, etc.

Le second c’est de ne point se confier en sa propre sagesse en suivant sa volonté propre, et en refusant d’acquiescer aux vues des autres, ce qui engendre surtout la discorde et la rancune.

Le troisième moyen c’est de savoir préférer le bien de la charité à ce qui nous est utile et même nécessaire. En effet, quand j’aurais une foi à transporter les montagnes ; quand je parlerais la langue de tous les hommes et des anges, si je n’ai point la charité, tout cela ne me servira de rien. C’est pourquoi nous devons, en tontes nos actions, considérer par-dessus tout la charité envers nos frères. Et il n’y a rien que les anges et le Seigneur des anges désirent autant, trouver en nous que l’union fraternelle et la charité mutuelle.

Le quatrième moyen consiste pour chacun à éviter avec le plus grand soin la colère et tout ce qui peut offenser les autres. S’il arrive que nous ayons péché contre notre frère, il faut lui en demander pardon avec humilité : si, au contraire, notre frère a conçu sans motif de l’aversion contre nous, appliquons-nous, autant que nous le pouvons, à faire notre paix avec lui.—Tout cela est tiré de la seizième conférence des Pères du désert.

1 Mor., lib. 31, c. 17.

CHAPITRE VI. De la paresse, et des remèdes à y opposer.

Le sixième combat se livre contre la paresse. Il est dans la nature de ce vice d’engendrer le dégoût du bien, de produire en l’âme l’engourdissement et de plonger l’esprit dans la tristesse. Il rend enclin au sommeil et à la dissipation, inspire l’horreur de la retraite (spirituelle), l’ennui de la solitude, le mépris et le dédain de ses frères, et ne se plaît en aucun travail, surtout si c’est un travail spirituel, et quelquefois même il porte à s’occuper de quelque œuvre manuelle afin d’avoir un prétexte de laisser de côté les exercices de l’esprit, l’oraison et autres pratiques semblables.

Les conséquences d’un tel vice sont la malice, la joie à former des projets pervers, le désespoir, la pusillanimité, la rancune ou la haine invétérée, la nonchalance dans tout ce qui concerne les commandements de Dieu, et l’effusion de l’âme sur ce qui est défendu.

Le remède souverain contre la paresse, c’est de ne jamais se laisser aller à l’ennui , de courir au-devant en le combattant courageusement, et de le vaincre par le travail. Cependant chacun peul varier ses occupations : tantôt prier, tantôt lire, tantôt méditer, etc. Si une chose ne plaît pas, on peut en faire une autre, et agir vis-à-vis de soi comme on agit vis-à-vis d’un malade dont le goût est gâté et à qui l’on offre toutes sortes d’aliments.

Un travail manuel également varié sert aussi contre cet ennui du cœur, et à ce travail vient se joindre, comme un puissant auxiliaire, la componction. En effet, celui qui pleure sur lui-même, dit saint Jean Climaque, ne sait ce que c’est que la paresse (1). Que ce tyran soit donc enchaîné par le souvenir de nos offenses et de nos crimes; qu’il soit mis à mort par le travail des mains et par la méditation sérieuse des récompenses futures. 
1 Grad., 13


CHAPITRE VII. De la tristesse, et du combat qu’il faut lui opposer.

Remarquez que la mauvaise tristesse peut se considérer sous un double point de vue, soit en général soit en particulier. Elle s’appelle tristesse d’une manière générale quand on l’envisage dans ses rapports avec toutes les passions ; car c’est le propre de toute passion d’engendrer la peine ou le plaisir selon qu’elle se met en possession de l’objet qu’elle convoite, ou qu’elle eu est frustrée.

Plus vous surmonterez cette tristesse, plus vous arracherez de votre cœur un grand nombre de vices. Si vous êtes fort contre elle, beaucoup de ces vices disparaîtront; si vous êtes faible, leur diminution sera insensible ; et si vous en triomphez entièrement, vous donnez la mort à tous. Mais qui arrivera jamais jusque-là?

On l’appelle tristesse d’une manière spéciale quand elle est un ennui des choses divines, et ainsi elle peut rentrer dans la paresse. La cause de la tristesse se connaît difficilement, car elle a autant de causes qu’il y a en nous de vices aimés ou d’affections perverses.

Contre ces deux vices, la paresse et la tristesse, combat la charité envers Dieu qui n’est jamais oisive. Or, on arrive à cette vertu par un triple degré.

D’abord, en usant de telle sorte de ce qui nous est permis, que nous ayons toujours soin de nous abstenir de ce qui nous est défendu.

En second lieu en accomplissant avec empressement et avec une grande ferveur tout ce qui tient au service de Dieu, et en excitant dans les autres un pareil sentiment.

Et enfin, en se portant vers Dieu avec autant d’ardeur que si l’on ne pouvait vivre sans lui.
On trouve encore un secours contre la tristesse dans de pieux entretiens, dans le souvenir de la bonté et de la miséricorde de Dieu et dans de saints cantiques, comme l’enseigne saint Paul aux Ephésiens (1).
1 Ephes., 5.


CHAPITRE VIII. De la vaine gloire, et des remèdes qui lui sont propres.

Si vous parvenez à vaincre tous les vices dont nous avons parlé (ce qui ne peut se faire sans de grands efforts et des peines nombreuses) ; si, dis-je, vous en arrivez là, c’est alors surtout qu’il faut vous précautionner contre la vaine gloire ; car elle se glisse avec tant d’art parmi les vertus que c’est à peine si les hommes spirituels peuvent toujours la reconnaître.

Or, elle est vaine de toute manière, et elle fait pénétrer en tout la vanité : dans le vêtement, dans le maintien, dans la conversation, dans le silence. Si vous êtes revêtu d’un habit précieux, vous la trouvez avec vous ; si vous êtes humble, elle s’exalte encore plus ; si vous parlez, elle se réjouit de ce que vous avez dit ; si vous gardez le silence, elle applaudit, à votre humilité.

Elle fait naître en vous la pensée, elle vous imprime un désir ardent de ce qui est une cause de louange et d’honneur, quand bien même il faudrait pour cela s’exposer à de grands dangers et à de pénibles travaux ; et alors elle donne à ceux qui lui sont dévoués un courage plus grand que l’espérance de la béatitude à ceux qui combattent pour elle.

C’est cette même bête qui fait soupirer après les degrés de la cléricature, du diaconat, du sacerdoce. Et cependant lorsqu’elle pousse quelqu’un à ces honneurs, elle se garde bien de le faire ostensiblement, de peur qu’on ne l’accuse de les avoir ambitionnés. Voyez à ce sujet ce que dit Cassien au livre des Institutions monastiques.

Non, jamais on ne saurait décrire toutes les formes que prend un pareil monstre. En quelque lieu que vous le repoussiez, il tient toujours comme un chardon sa pointe dirigée contre vous ; et semblable à l’ail, si vous lui enlevez une enveloppe, vous le retrouverez couvert d’une autre. Qu’il s’introduise quelque part, il traîne perfidement à sa suite des enfants dignes de sa perversité. Ce sont l’insubordination, les querelles, la jactance, l’hypocrisie, l’entêtement, la discorde, la présomption ou l’invention des nouveautés.

Si donc vous désirez vaincre la vaine gloire, apportez un soin suprême à ne jamais rien entreprendre par un motif de vanité, vous rappelant cette parole du Sauveur : « Ils ont reçu leur récompense (1); » cette autre du Prophète : « Dieu a dispersé les ossements de ceux qui ne cherchent qu’à plaire aux hommes : ils ont été dans la confusion, parce que Dieu les a méprisés (2) ; et encore cette autre de l’Apôtre : « Si je plaisais aux hommes, je ne serais point serviteur de Jésus-Christ (3). »

Efforcez-vous ensuite de préserver des atteintes de ce même vice avec un soin non moins grand tout ce que vous avez commencé avec une intention droite. Et enfin celui qui veut demeurer vainqueur en ce combat doit éviter en tout temps tout ce qui est singulier, tout ce qui peut procurer la louange et l’honneur. « Car, selon saint Jean Climaque, un principe de ruine pour la vaine gloire c’est la garde de notre langue, l’amour d’une société peu élevée, la joie d’une ignominie profonde, et le bonheur que nous éprouvons à paraître misérables en présence de la multitude (1). » — « L’unique remède contre la vaine gloire, dit saint Jean Chrysostôme, c’est de prier Dieu qu’il daigne nous en délivrer. »

1 Mat., 6. — 2 Ps. 52. — 3 Galat., 1.


CHAPITRE IX. De l’orgueil, et des remèdes qui lui sont propres.

Enfin il faut, en dernier lieu, attaquer l’orgueil lui-même, le chef et la racine de tous les vices, l’abîme dévorant de toutes les vertus ; l’orgueil, dont la force et la violence sont telles qu’il a chassé Lucifer du ciel. Et cependant David encore enfant mit sa confiance dans le Seigneur, et par son humilité il terrassa Goliath, malgré la grandeur démesurée de sa stature.

L’orgueil revêt une double force : il est spirituel, et c’est lorsqu’il s’adresse à la perfection qu’il voit dans ceux qui font le bien. Il est charnel, et alors il s’inspire de quelque qualité extérieure.

Or, celui qui est possédé de l’orgueil spirituel a coutume de se croire en possession de grands mérites, de s’attribuer des grâces considérables, de penser qu’il est très-aimé de Dieu, de s’étonner de ne point, opérer des merveilles, de se troubler de ce que Dieu ne lui donne point je ne sais quoi de spécial, de mépriser les autres comme des hommes tout terrestres. Un tel vice expose à de graves dangers et est plus à redouter que les vices de la chair. En effet, il n’en est aucun qui épuise autant toutes les vertus, et dépouille autant l’homme de toute justice et de toute sainteté que le fléau de l’orgueil.

Celui donc qui veut échapper aux traits de ce monstre pervers doit, dans chacun des actes où il sent qu’il a fait du progrès dans la vertu, s’écrier du fond du cœur : « Ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu » et penser que c’est Dieu qui opère en nous le vouloir et son accomplissement selon qu’Il lui plaît (1).

Il faut aussi se rappeler que le bien qui est en nous est un don de Dieu, et que nous en rendrons un compte rigoureux ; ensuite que ce bien est mélangé de beaucoup de défauts, de tiédeur, d’hypocrisie, etc, et qu’en outre nous sommes remplis d’une multitude de choses mauvaises, vicieuses. Il faut encore arrêter ses regards sur les hommes qui sont meilleurs que nous et sur les anges, afin que la comparaison que nous établissons, entre eux et nous, serve à nous humilier davantage.

L’orgueil charnel se reconnaît à ces indices : il est dans le silence, plein de murmure, d’amertume et de colère; dans la joie, il est dissolu, il rit sans mesure et sans cause ; dans la tristesse, il est dur et sévère ; dans la correction il est haineux et sans compassion : il parle au hasard, sans gravité, sans réflexion ; il est sans patience et sans charité ; il lance l’injure avec hauteur et ne la reçoit qu’avec pusillanimité ; il se soumet difficilement à l’obéissance, dédaigne les avertissements et est opiniâtre en sa volonté propre ; il s’efforce de faire prévaloir ses sentiments et refuse d’acquiescer jamais à ceux des autres; il ne prend conseil de personne et a plus de confiance en ses lumières que dans celles des sages.

Le premier remède contre un tel vice, c’est d’embrasser l’obéissance en toute simplicité de coeur, et de la pratiquer humblement.

Le second c’est de se montrer humble envers ses frères dans toute la sincérité de son âme, s’efforçant de ne les blesser en rien par un parfait acquiescement à leurs vues.

Le troisième c’est de s’exercer en tout temps, le plus qu’on le peut, aux œuvres d’humilité, aux charges les plus viles et les plus dédaignées, comme de servir à la cuisine, laver la vaisselle, balayer la maison, d’embrasser les offices les plus bas, de n’être revêtu que d’un pauvre habit, et d’avoir dans sa démarche un maintien où respire l’humilité. Si l’on contracte l’habitude de toutes ces choses, elles inclineront le cœur à cette vertu.

Le quatrième c’est de fuir les honneurs, préférer de beaucoup en tout temps servir les autres que d’en être servi, retrancher dans son langage toute parole prétentieuse, tout nom de jactance, même le nom de sa famille. Enfin, en dernier lieu, éviter toute distinction et tout acte où respireraient tant soit peu la présomption et la vanité.

L’humilité, qui est opposée à l’orgueil, a trois degrés.

Le premier c’est de nous reconnaître nous-mêmes faibles, vides de bien, vicieux, pleins des autres défauts que nous pouvons avoir, et de ne pas nous élever au-dessus de ce que nous sommes.

Le second c’est de désirer être jugés par les autres selon qu’on se connaît soi-même dans la vérité, c’est-à-dire vil, misérable, superbe, etc.

Le troisième c’est de ne point s’enorgueillir lorsqu’on pratique les vertus les plus sublimes, lorsqu’on est environné d’honneurs, et de ne point en prendre occasion de se flatter soi-même, mais de tout rapporter à celui de qui nous avons tout reçu et de le lui restituer sans réserve. Telle fut l’humilité de Jésus-Christ; telle est l’humilité des anges et des saints dans la gloire.

1 I Cor., 15.